Dossier Génération Sacrifiée

Depuis notamment la rétrocession de Hong Kong en 1997, les cinéastes Asiatiques sont en pleine effervescence : désillusion, nihilisme… jamais le Septième art dans cette transition entre le 20ème et le 21ème siècle n’a été si sombrement poétique, radical, violent, réaliste et désabusé. C’est un regard alarmiste qui se pose sur un monde qui a littéralement consumé ses enfants.
Fruit Chan ouvre les hostilités avec cette déclaration d’amour énergique et underground pour sa ville et sa jeunesse perdue dans Made in Hong Kong, où il narre le parcours chaotique de 3 adolescents.
Mi-août, (Sam Lee) héros romantique et violent, narrateur off par certaines occasions, à la fois cynique et naïf, est une petite frappe dont la paresse et la fougue sont exploitées par une Triade locale. Il est accompagné de Jacky, son protégé, un attardé mental, fidèle et fragile. Dans leur errance, ils croisent Ah Ping, une jeune fille, belle… et malade qui attend sans trop y croire un donneur pour son rein.
3 électrons libres livrés à eux même qui tentent vainement de se raccrocher les uns aux autres et qui n’ont en commun que leur fraîcheur et une fascination morbide pour une jeune suicidée qui va bouleverser leur destin.
Une génération sacrifiée, pour un film marginal (1), qui fait presque office de documentaire sur la déliquescence de la société Hongkongaise, de la perdition de sa jeunesse et de l’abandon des classes populaires.
(1) Andy Lau apportera les fonds nécessaires afin de terminer le film.
Constat tout aussi amer au pays du Soleil Levant, avec le mythique Battle Royale de feu Kinji Fukasaku. Il est ironique d’ailleurs de constater que c’est un homme de 75 ans qui a su le mieux comprendre et exprimer la rébellion et les aspirations de la jeunesse nippone. Ironique, mais pas étonnant, quant on connaît le personnage, enfant des bombes de la Seconde Guerre Mondiale, l’homme a connu les horreurs du conflit et la bêtise des adultes.
Tiré du roman de Koshun Takami, Battle Royal est une claque cinématographique ultra violente sur fond de satire sociale. Un véritable manga live.
En partant d’un postulat choc : « seriez vous prêt à tuer votre meilleur ami ? », Kinji Fukasaku livre une caricature sanglante et sans appel de la Société Japonaise. Fustigeant le système éducatif, l’obstination et l’hypocrisie des adultes qui refusent d’admettre leur part de responsabilité.

Japon 21èmesiècle, dans un futur proche, la délinquance juvénile explose, les adultes ont perdu toute forme d’autorité. Pour remédier au problème, le gouvernement vote le décret Battle Royale, une loi martiale instituée afin de mater l’indiscipline des enfants de la Nation. Chaque année, une classe de lycée est tirée au sort pour participer à un jeu cruel. Les étudiants sont alors séquestrés sur une île pendant 3 jours, à l’issue desquels il ne devra en rester qu’un. Sous peine d’être exécutés. Afin de « motiver » les candidats, leur est remis un sac de survie, avec carte, boussole et « arme surprise » et autour de leur cou est attaché un collier piégé, qui explosera passé le délai.
On ne peut échapper au phénomène d’identification, tant les acteurs sont impressionnants (la moyenne d’âge des protagonistes se situe en 15 et 18 ans !). Mais bien au delà de sa violence graphique et thématique, Battle Royale par l’intermédiaire de la réalisation virtuose de Fukasaku nous questionne sur l’amitié, la fidélité… Un chef d’œuvre qui clame avec virulence qu’une société qui sacrifie ses enfants est une société condamnée.
D’une certaine manière, les adultes nous ont pervertis, condamnés à vieillir prématurément (le suicide du père de Shuya, la mère de Mitsuko qui contraint sa fille à se prostituer…), comme tous les ados de leur âge, les élèves de Battle Royale ont un lourd passé comme fardeau et n’aspirent finalement qu’à une vie meilleure.
Instantanément culte Battle Royale est devenu le paradigme de toute une génération.

Avec la même vigueur, mais accusant parfois (si peu) certaines maladresses, Kenta Fukasaku reprend le flambeau de son père sur Battle Royale 2 : Requiem. Il poursuit ainsi le combat que son père n’a pu achever, emporté par un cancer. « Nous déclarons la guerre aux adultes » dixit les enfants ayant survécu au programme Battle royale. Cet opus 2 reprend donc l’histoire là où on l’avait laissé, kenta Fukasaku fait d’ailleurs preuve d’une certaine virtuosité dans les scènes d’actions (la scène du débarquement n’est pas sans rappeler celle du Soldat Ryan de Spielberg). Cette fois ci d’autres enfants sont envoyés de force sur une île afin de débusquer les rebelles qui ont déclaré la guerre au régime. Le fils du réalisateur, animé par la volonté de transmettre le message de son père, en fait même un peu trop, mais on pardonnera vite ces excès, pour la sincérité des intentions.


Une autre révolte éclata, au Pays du Matin Calme cette fois, avec l’enfant terrible : Kim Ki-Duk. Il faut savoir que la Corée, ses 10 dernières années, n’a jamais été aussi prolifique en matière de chefs d’œuvres bouleversants ou de blockbusters énervés. Qu’on me pardonne si je passe volontairement sous silence le Maître Park Chan-Wook, mais le thème de ce dossier est celui de la jeunesse sacrifiée. Et sur ce sujet douloureux Kim Ki-Duk est sans doute le plus nihiliste et le plus amer des réalisateurs asiatiques, toute génération confondue. Il aborde avec un style frondeur, les tabous et les fêlures de son pays, dont la jeunesse Coréene est la première à en subir les frais.

A travers Samaria son dixième long métrage il aborde la question de la prostitution lycéenne. 2 adolescentes Yeo-Jin et Jae-Young rêvent de voyager en Europe et décident afin de financer leur périple de vendre leur corps. Yeo-jin gère les rendez-vous et surveille les passes de Jae-Young qui s’attache facilement à ses clients. Jusqu’au jour où tout dérape ; commence alors un douloureux voyage vers la rédemption, mais pas de qui vous croyez. Avec ce film, Kim Ki-Duk lâche une véritable bombe dans son pays et il ne cédera à aucunes concessions, dans ses portraits cyniques et blasés de la lâcheté des hommes. Il est important de noter que cette œuvre fut tournée en seulement 20 jours ! Samaria est une autopsie à « corps ouverts » des travers de l’humanité, de la faiblesse des hommes, de la fragilité des jeunes et surtout de l’hypocrisie d’une société coréenne en réelle crise d’identité.

Constat d’autant plus noir, avec une de ses œuvres précédentes : Adresse Inconnue. Bien qu’il s’agisse de la génération d’après guerre dans ce film, nul doute que la parabole avec la jeunesse actuelle est évidente. Je parlais un peu plus haut de la crise d’identité des coréens, Adresse Inconnue met le doigt sur des blessures profondes, qui traumatisent encore le pays : La guerre entre le Nord et le Sud, une nation scindée en 2, diminuée et humiliée par le diktat américain.


Réunies par le malheur, 3 âmes en peine, sans valeurs, ni repères, tentent de faire leur vie une Corée en partie détruite par la guerre, corrompue, soudoyée et asservie.
Kim Ki-Duk n’épargne personne dans ce film, avec une mise en scène volontairement crue. Adresse inconnue, apparaîtra sous beaucoup d’aspects comme un film sans espoir, dont on aura du mal à se remettre. Un film âpre sur la cruauté des hommes, et sur la perte de l’amour pour des jeunes qui n’ont plus espoir en l’avenir et en leurs pères. Mais dans ce film, c’est avant tout « la misère » le protagoniste principal. La misère d’un peuple meurtri. Encore une fois, comme souvent dans le monde, c’est la misère qui est le plus souvent responsable des douleurs que l’on s’inflige et que nous infligeons aux autres.

''L’homme est un être qui s’est condamné à la solitude ''
Dans ce syndrome destructeur un réalisateur vint ajouter sa touche et marquer le propos de ce dossier par une réponse (ou une question) des plus extrême : le suicide.
Avec Suicide Club, Sono Sion repousse un peu plus les limites du cinéma underground. Onirique et réservé à ceux qui aiment le cinéma hors normes, qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Mourir est-il un autre moyen de s’affirmer ? L’ultime rébellion ? Ou bien une mode ?

Station de Shinjuku, 54 lycéennes se jettent joyeusement sous le métro, devant une foule terrorisée. C’est le début d’une vague de suicides qui va submerger le Japon. La police piétine, la thèse du suicide « accidentel » est très vite écartée lorsque les enquêteurs reçoivent un sac, avec dans son contenu, des lambeaux de peaux des victimes cousus et enroulés. Les pistes se multiplient, sectes ? Club de suicide sévissant sur le net ? Meurtres ? Tout le monde s’interroge, y comprit le spectateur qui a l’impression d’être plongé dans un cauchemar surréaliste. Sono Sion filme ces mise à mort de manière très coquasse, presque ironique, ce recule volontaire nous permet d’endurer des images à la limite du supportable. Suicide Club est un film qui nécessite plusieurs lectures, qui se ressent plus qu’il ne se réfléchit, difficile d’en trouver la clef, à moins d’être à l’écoute, à l’écoute de nos enfants. (2)

(2) à ne pas manquer Suicide Club zéro (Noriko’s dinner table) la préquelle, qui bouclera sans doute la boucle.
En conclusion pour ceux qui comprendront ''restez connecté ''.


Nous terminerons le tour de cette balade cinématographique volontairement sélective, avec Dog Bite dog, le polar de Pou-Soi Cheang, un des choc visuel et narratif de cette année 2006. Dog Bite Dog démontre avec justesse et sauvagerie, comment les adultes/parents ont sacrifié leurs enfants sur l’autel du profit, à l’assouvissement de leurs pulsions. Dog Bite Dog est un coup de couteau qui vous ouvre le ventre pour fouiller les fêlures de l’âme humaine.



Pang, un jeune Cambodgien (Edison Chen remarquable dans un rôle qui casse littéralement son image), chair à canon déshumanisé, est envoyé à Hong Kong afin d’exécuter un contrat. Sa sauvagerie est telle, qu’aucun policier ne sera capable de l’arrêter, un jeune inspecteur sur le fil et retord avec le règlement (Sam Lee) se lance à sa poursuite, quitte à sombrer lui aussi dans un état animal proche de la destruction.

Qu’ajouter de plus, si ce n’est qu’en tous points le film illustre son propos de manière éloquente. Une photo magnifique, un climat lourd et sombre, une bande sonore faîte d’aboiements et de râles. L’homme est sans doute l’animal le moins noble de la planète.


Ce qui frappe surtout à travers la mise en scène et le scénario, c’est l’effondrement du modèle Confucianiste cher à une société Chinoise qui n’a pas su s’adapter au changement. Le ''père '' adoptif du tueur, n’est qu’un vulgaire marchand d’esclaves qui reniera son ''fils'' à un moment critique. Le jeune inspecteur découvre que son père policier qu’il prenait pour un modèle, est en fait un pourri, doublé d’un dealer, qui préfèrera le suicide plutôt que d’affronter le regard de son fils. La jeune SDF, recueillie par Pang, après que celui-ci est assassiné son père qui abusait d’elle. Le constat est dur, sans appel, sans retour et dans cette débâcle, on comprend mieux la violence de certains jeunes sans repères, sans espoirs, qui n’ont comme recours que la violence au service de leur survie ou de leur mort…

L’écrivain Jean-Michel Wyl a écrit ''Ce n’est pas pour rien que les bébés qui viennent au monde, naissent avec les poings fermés : ils savent déjà instinctivement qu’ils auront à lutter''.(3)


Pou-Soi Cheang a mis en scène cette maxime de façon magistrale.



(3) Source Mad Movies 197
'' Pauvres enfants, ce sont toujours eux qui paient les bêtises des grands, en attendant d'être en âge de faire soigneusement les mêmes."
Jean Anouilh
Ce texte provient de whispering-asia, la copie intégrale est illicite!

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