The Grandmaster

Hong Kong 2012


De Wong Kar Wai
Avec Tony Leung Chiu Wai, Zhang Ziyi,
Chang Chen, Zhang Jin, Qingxiang Wang,
Xiao Shenyang

Depuis quelques années les biopics sur Ip Man inondent le marché du cinéma asiatique et c’est au tour de Wong Kar Wai de s’attaquer à la vie extraordinaire de cet artiste martiale, surtout connu pour avoir été le professeur de Bruce Lee. Quoi de plus excitant qu’un maître du cinéma pour illustrer la vie d’un des plus célèbres maîtres de l’âge d’or des arts martiaux chinois ; du lien vivant qu’il fut entre le passé et le présent, de la Chine à Hong Kong...


Plus que de romancer la vie de cet homme exceptionnel, Wong Kar Wai voit ici l’occasion d’exprimer son amour pour les arts martiaux et la spiritualité, tout en évoquant des thématiques qui lui sont chers. Ainsi, il parvient à traduire la beauté et l’essence des arts martiaux tout en évoquant les bouleversements de la Chine des années 30 et 40, jusqu’aux origines de Hong Kong. En esthète du septième art, Wong Kar Wai, parvient à saisir dans le chaos la subtilité des sentiments et la nostalgie d’une atmosphère. The Grandmaster est à ce titre, autant un film zen et mélancolique, qu’un film de Kung Fu élégant.

Maître Gong Baosen, artiste martiale réputé du Nord au Sud de la Chine demeurant invaincu, est sur le point de prendre sa retraite. S’il désigne naturellement Ma San, son fils adoptif, comme successeur, il n’en demeure pas moins qu’il manque toujours un maître pour fédérer les écoles du Sud. Maître Gong Baosen se rend ainsi à Foshan pour mettre à l’épreuve le futur héritier. Les maîtres du sud décident que c’est à Ip man, expert renommé en wing chun, de les représenter. Mais Gong Er, la fille du vénéré maître Gong Baosen, demeurant dans l’ombre à cause de sa condition de femme, ne tient pas à s’incliner devant ces hommes. Après avoir assisté au triomphe de Ip man sur son père, elle décide de remettre en cause les dogmes et s’acharnera, quitte à s’oublier, à faire triompher l’honneur de sa famille et la perfection de sa technique. Ces querelles martiales et idéologiques, se voient soudainement bouleversées par l’invasion de l’armée japonaise. Ruiné Ip man émigre à Hong Kong, mais le débat successoral n’a pas quitté tous les esprits.
Dans The Grandmaster,Wong Kar Wai, transpose au genre des films de kung fu, la sublime esthétique de son cinéma. Et c’est une véritable calligraphie visuelle auquel nous assisterons durant plus de deux heures. Comme à son habitude le réalisateur fait baigner son film dans une atmosphère très nostalgique.
 
Amateur d’action chargez de testostérones, passez votre chemin, car plutôt que de dérouler des affrontements gratuits et spectaculaires, Wong Kar Wai souhaite saisir l’esprit du kung-fu, rajouter de la profondeur aux arts martiaux, où la joute relève autant de la prouesse technique que du débat philosophique. Si l’élégance caractéristique du cinéma de Wong Kar Wai est de mise dans ce film, la violence ne manquera de faire irruption de façon spectaculaire afin de traduire des enjeux formels et émotionnels (le combat fratricide de La Lame contre le Kuomintang, la terrible et brève confrontation entre Ma San et Gong Baosen …). Chez le cinéaste un coup n’est jamais gratuit.
Outre le fait, qu’il rende hommage à la complexité des arts martiaux chinois (les amateurs pourront apprécier des techniques peu connue du public occidental : xing yi, ba gua ou ba ji), Wong Kar Wai en a saisi les dogmes existentiels. A savoir que le véritable maître, n’est pas forcément le vainqueur d’un combat ou le plus fort de ses pairs (cela ne dure qu’un temps), mais celui qui aura réussi à conserver un haut sens moral, une maîtrise absolue et une connaissance élevée ses semblables.
Le mouvement et l’instant
Sur un canevas temporel atypique, Wong Kar Wai, narre le passage de relais d’un maître à un autre et dans cette fresque éblouissante, le réalisateur dégage une force à la fois poétique et épique, une véritable ode au mouvement.
Le Kung fu est une métaphore du mouvement et la réalisation de Wong Kar Wai une métaphore des émotions. Le kung fu est mouvement, tout comme la vie et les destins qui se bousculent dans des joutes idéales où les tumultes d’une révolution. Mais dans cette ode du mouvement, l’immobilité des sentiments demeure, beaux et intemporels, ils restent étouffés, donc immobiles, que ce soit dans le renoncement pour l’honneur ou des intentions avouées trop tard (la bouleversante déclaration de Zhang Ziyi).
C’est justement la femme, qui ressort au cœur de ce tableau, véritable héroïne nostalgique sublimée par le pinceau de Wong Kar Wai, Zhang Ziyi incarne un rôle fort et tragique. Qu’elle combatte dans des soubresauts épiques de vengeance, ou bien sensuels (sa première confrontation avec Ip man) elle incarne à elle seule toute la beauté et la nostalgie du cinéma du maître. Elle devient une héroïne poignante, symbole de renoncement et de résistance, victime de sa fierté et de conventions sociales injustes. Avec elle, la Chine d’antan s’immortalise et Hong Kong sous la beauté des regrets dévoile le vague à l’âme d’une cité expatriée.
Beauté, formelle et stylisée, parfois noyée par une narration alambiquée. The Grandmaster nous conte une histoire de kung fu d’une richesse thématique infinie et prouve que Wong Kar Wai reste un poète de l’image, un calligraphe de la réalisation.



Love Exposure


Japon 2008

De Sono Sion

Avec Takahiro Nishijima, Hikari Mitsushima,
Sakura Andô, Makiko Watanbe, Atsurô Watabe


Parmi les œuvres prolifiques de Sono Sion, figure une pierre angulaire de son action cinématographique, un film qui a mit 5 ans à trouver un distributeur pour l’hexagone. Il faut dire que depuis Himizu et The Land of Hope, le réalisateur enragé et coqueluche des festivals a mit de l’eau dans son saké et s’attèle depuis à des œuvres beaucoup plus accessibles. La sortie ciné récente de The land of Hope ayant sans doute donné l’impulsion nécessaire à HK video à distribuer Love exposure.



Et c’est un véritable OFNI qu’il nous est permis de découvrir, une fresque immense de presque quatre heures, découpée en chapitres sous de faux airs de dramas. Quatre heures, pour décrire la vie de Yu 17 ans dont la mère est morte, qui se retrouve seul avec un père, dépressif, libidineux et névrotique, récemment ordonné prêtre ! Prêcheur fou, celui-ci impose à son fils de lui confesser des péchés pourtant inexistants, si bien que dans le simple but de satisfaire la folie rédemptrice de son père, Yu va embrasser tous les vices, jusqu’à hériter du surnom de « roi des pervers ». Suite à un pari perdu et un quiproquo, son chemin croise celui de Youko, en laquelle il trouve l’amour idéal et la promesse qu’il avait fait à sa mère, trouver sa Vierge Marie et l’épouser.



Ce qui au premier abord, pourrait s’apparenter à une charge anticléricale, n’est dans la démarche du réalisateur, qu’une charge contre les dérives sectaires et surtout un pamphlet éloquent sur l’état de perversion de la société nippone. Cette Focalisation obsessionnelle sur les pêchés au détriment du message religieux, témoigne des travers de l’humanité dans sa lecture des choses. Dérive sectaire du fait de la force iconique de cette religion peu connue des insulaires qui au gré de leurs fantasmes la tourne en folklore. Face au désert affectif et les frustrations qui frappent la société japonaise, la religion peut devenir un poison plutôt qu’un remède.



Vide relationnel entre un père son fils, la puissance iconographique des images pieuses déforment la vision de chacun, puisque passant par le prisme de leur névroses. Chez Sion poète punk du cinéma nippon, la religion est un refuge vain, victimes de cette pauvreté affective, ces personnages et en particulier les plus jeunes, s’enfoncent telles des autistes de l’ultra violence dans la perversion de leurs croyances.



Au-delà de cette thématique de la perdition, Sono Sion fait preuve d’une inventivité sans failles, transgenres par excellence à la lisière du bizarre, son film passe du gore grand guignol au comique manga (techniques martiales pour photographier des dessous), de l’absurde au tragique. Calibré au millimètre, toujours au service de ses propos, cet univers décalé déroute dès les premiers instants, mais la fascination opère. Love Exposure est derrière cette révolte initiatique, un film de Passion et de Salut, une des plus belles œuvres de Sono Sion.

The Land of Hope

Japon 2012
De Sono Sion

Avec Isao Natsuyagi, Jun Murakami,
Megumi Kagurazaka



Un tremblement de terre frappe le Japon, entraînant l'explosion d'une centrale nucléaire.

Dans un village proche de la catastrophe, les autorités délimitent un périmètre de sécurité à l’aide d’une simple bande jaune qui coupe en deux la localité. Cette ligne de démarcation absurde, est censée représenter la frontière entre le danger de la radioactivité et une sécurité toute théorique.

Au sein de la famille Ono, les parents, âgés et agriculteurs, choisissent de rester. Pour rien au monde ils ne quitteraient leurs terres ; leurs racines, comme leurs arbres, sont ici. A contrario, ils poussent leur fils et son épouse à quitter les lieux. Chez leurs voisins, c’est le même déchirement, mais tous acceptent de partir, sauf leur jeune fils qui force les barrages afin d’aider sa fiancé à retrouver ses parents dans un autre village dévasté par un tsunami.



L’absurde…

Dans le prolongement d’Himizu, Sono Sion en chantre du bousculement des consciences nippones, pose sa caméra dans les zones sinistrées du Japon, faisant échos (puisque tourné peu de temps après) à la catastrophe tragique de Fukushima. Sa caméra témoin nous embarque dans des villes désertes complètement abandonnées, où les survivants errent d’un pas timide au rythme des décombres et des spectres des disparus. Entre cris de colère et démonstration par l’absurde, Sono Sion prend le temps d’exposer l’impact d’une catastrophe nucléaire sur sa population, en se focalisant sur trois couples, confrontés à des dilemmes bien particuliers. Oscillant entre rire, drame et tendresse, la mise en scène se fige au profit de l’intimité.



L’amour…

Clairement politique, mais pas politisé, Sono Sion tape sur le gouvernement, son incompétence et son incohérence, tout comme il n’épargne pas les médias et leur complicité abrutissante. Cependant inutile d’espérer retrouver la fureur ou l’exubérance de son style à travers ce film, on sent clairement que l’homme s’est mis en retrait derrière son sujet. C’est donc un film engagé, mais clairement posé dans la forme que Sono Sion nous propose. Veillant à ce que son message soit accessible à tous, il adopte une approche très classique, voir lente pour suivre au plus près l’expérience traumatisante de ces habitants. Mais au delà du pamphlet anti-nucléaire, Sono Sion nous parle surtout d’amour, d’humilité et d’espoir, à travers le portrait touchant de ces trois générations.